Drive | 24 Sep 2018

Chaque détail compte

La Formule 1 à la pointe de la technologie

TEXTE : MARKUS GÖTTING

L’équipe de Formule 1 de Mercedes-AMG Petronas Motorsport mise sur les technologies d’avenir, en étroite collaboration avec le siège social à Stuttgart. Visite de l’usine des champions du monde à Brackley, en Angleterre.

Au siège de l’écurie Mercedes-AMG Petronas Motorsport à Brackley, le progrès technologique est une réalité quotidienne. Derrière les portes du bâtiment, qui ne s’ouvrent que sur présentation d’un badge, des employés travaillent en uniforme sombre sur des objets délicats. Pour cela, ils portent gants et lunettes de sécurité… parfois même un masque de protection respiratoire. On constate alors qu’il ne s’agit pas simplement d’une usine de voitures de sport, mais bien d’un véritable laboratoire du futur.

Une évolution vertigineuse

Les couloirs sont aussi propres que ceux d’un hôpital ; un dessous de caisse en carbone est posé contre un mur à côté de cartons remplis d’équipements ; des étagères se dressent à intervalles réguliers et accueillent des composants anciens. « N’hésitez pas à le toucher », lance un collaborateur en désignant un écrou de roue datant de 2013. Il poursuit : « Maintenant, prenez celui-ci, il a seulement deux ans de moins. » Il ne pèse même pas la moitié. Si un détail aussi banal représente déjà une avancée significative, on commence à comprendre à quel point la vitesse d’évolution de l’ensemble de la voiture est vertigineuse. Une voiture de sport n’est jamais qu’un prototype, un travail en cours ; la semaine d’après, elle est déjà différente. Dans le monde du sport automobile, la stagnation signifie l’approche inexorable de la prochaine défaite… La Formule 1 est une activité de divertissement et de sport de haute technologie, mais aussi un institut de recherche pour une construction automobile innovante. Ces bolides sont d’énormes aspirateurs à données, les matériaux et la mécanique sont testés dans des conditions extrêmes et analysés virtuellement en direct.

 

De la Formule 1 à l’usage quotidien

Depuis que Mercedes-Benz s’est engagée avec sa propre équipe, les savoir-faire s’échangent dans les deux sens : du siège de Stuttgart à Brackley, et inversement. Même le département Poids lourds de Mercedes-Benz a apporté sa contribution aux quatre titres successifs de champion du monde de Formule 1. Et nombre de caractéristiques semblant normales dans les voitures du quotidien proviennent en fait du sport automobile. C’est le cas notamment de la transmission intégrale, des turbines à gaz, de l’embrayage électronique, de la suspension active ou encore de l’enregistrement mobile des données ainsi que des composants en aluminium et en titane. La fibre de carbone par exemple a d’abord été utilisée pour l’aérospatiale, puis pour la Formule 1, enfin pour la construction automobile. En 2009, le système KERS a été adopté. Il permet de récupérer l’énergie et de l’utiliser pour donner un élan électrique au moteur à combustion.

Toujours plus loin

Actuellement, le meilleur moteur hybride provient sans doute des ateliers de Mercedes-AMG High Performance Powertrains. Son directeur, Andy Cowell, 49 ans, construit avec son équipe de 500 personnes un groupe motopropulseur de plus de 735 kW (1 000 ch). Le chiffre exact relève du secret industriel. Le système actuel produit une puissance deux fois supérieure à l’essieu arrière et est alimenté par deux sources : l’énergie de freinage et la chaleur du turbo. L’« efficacité » est le mot préféré d’Andy Cowells… et son mantra dans le travail. Il avance : « La Formule 1 est une des meilleures plateformes au monde pour optimiser l’efficacité des machines et des systèmes. Le sport automobile fera également avancer la mobilité électrique. » Étant donné que la responsabilité en matière de ressources et de durabilité est devenue un critère en Formule 1, les équipes doivent disputer la saison avec trois moteurs de 1,6 litre seulement. Le ravitaillement est interdit. Durer est donc primordial. « Lorsque l’on réfléchit à l’autonomie », explique Andy Cowell, « il faut veiller à ce que l’efficacité de tous les éléments soit la plus forte possible. »

 

Mariage parfait

L’objectif est maintenant d’associer le moteur à combustion et les modules électriques de façon si harmonieuse que le conducteur ne remarque même pas si son véhicule est propulsé par de l’électricité ou du carburant. D’après Andy Cowell, l’association de moteurs électrique et traditionnel constitue le « mariage parfait » : batterie pour démarrer au feu tricolore ou pour accélérer en dépassant, carburant pour rouler en vitesse de croisière. En fait, le fonctionnement d’une hybride PLUG-IN est identique à celui de la W09 EQ Power+ de Lewis Hamilton. C’est la raison pour laquelle la collaboration du département Poids lourds est si importante : Brixworth a beaucoup bénéficié de ses connaissances en matière de turbo. En réalité, les ingénieurs se posent les mêmes questions dans les deux entreprises. D’un côté, l’efficacité ; de l’autre, l’utilisation des données. Geoff Willis, 58 ans, est directeur de la Digital Engineering Transformation, soit le « supercerveau » en matière d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique. Il est assis dans une salle de réunion toute vitrée au siège de la Formule 1. À quelques pas seulement, on peut voir les bancs d’essai sur lesquels son équipe peut simuler tous les scénarios possibles pour une voiture de course. Geoff Willis explique : « Le numérique est le moteur d’aujourd’hui. Ici, nous travaillons dans le virtuel, mais nous pouvons valider nos données sur circuit, dans le monde réel. »

La Formule 1, vision du futur

Dans les années 1990, lorsque l’on regardait dans le box d’une équipe de course, on avait l’impression de voir l’avenir. Les moniteurs affichaient des données télémétriques sous forme de courbes colorées pendant que la voiture faisait des tours. Aujourd’hui, cela nous évoque plutôt le Moyen-Âge du numérique ! Ce que l’on appelle la Race Support Room fait penser à la fois à une salle de conférences pour 30 personnes et à un centre de contrôle de la Nasa. C’est ici que sont assis, les week-ends de course, les ingénieurs qui ne sont pas sur le circuit. Depuis l’Angleterre, ils analysent toutes les données transmises par les centaines de capteurs de la voiture ; ils observent les concurrents et communiquent leurs conclusions directement au poste de commande dans l’allée des stands. C’est là que se trouve James Vowles. C’est lui qui décide de la stratégie. En 1995, raconte-t-il, une voiture de course récoltait des données via 16 canaux ; aujourd’hui via 50 000. Tout réside donc dans l’interprétation correcte des données. Pour cela, l’ordinateur est une aide incontournable, commente James Vowles : « Mais au bout du compte, c’est nous qui devons évaluer ou anticiper les situations de la course. Et nous restons plus compétents que l’ordinateur dans ce domaine. » L’élément déterminant reste donc avant tout… l’être humain.