Drive | 7 Jul 2017

Chez Dali, sur la Costa Brava

Texte : Alexandros Stefanidis, Photos : Jan Friese

La baie de Cadaquès est sans aucun doute une des plus belles baies de Catalogne. Sur les traces des surréalistes, de nombreux jeunes artistes viennent aujourd’hui y chercher l’inspiration. Visite de quelques ateliers avec la Nouvelle Classe E Cabriolet.

Salvador Dalí sourit. Il se tient sur la plage, coulé dans le bronze sur un socle en béton. Appuyé sur une canne, les jambes croisées. Avec sa moustache emblématique aux extrémités dressées vers le ciel, le peintre fait toujours l’effet d’être hors du temps. Mais peut-être ne sourit-il pas. Peut-être l’expression de son visage est-elle tout aussi inclassable que l’imagination qui a donné naissance à ses tableaux. Peut-être ne fait-il que se moquer de sa présence, comme s’il s’agissait de son héritage surréaliste. Car Cadaqués est tout simplement inconcevable sans Dalí. On l’appelait « le fou », parce qu’il s’était affranchi des conventions. C’est lui qui a rendu la baie et le petit village catalan mondialement célèbre. Il est encore dans nombre de restaurants et bars : en photos ou sur des affiches aux murs, et dans toutes les conversations aux tables et au comptoir.

Dali et ses invités, comme René Magritte, Richard Hamilton et Marcel Duchamp, ont fait de l’ancien village de pêcheurs avec ses maisons blanches aux toits rouges un lieu mythique. Cadaqués est aujourd’hui au centre du culte voué au peintre surréaliste. Enfant, Dalí y passait ses vacances d’été.

En 1930, il achète dans la baie voisine de Portlligat quelques cabanons de pêche pour les transformer en un appartement et un atelier. Et c’est dans les silhouettes bizarres des formations rocheuses du parc naturel du Cap de Creus, juste à côté, qu’il trouva l’inspiration.

En compagnie de Daniel Zerbst

La région de Cadaqués attire aujourd’hui les jeunes artistes. Certains s’y sont installés il y a déjà dix ans, d’autres considèrent Cadaqués comme une étape intermédiaire indispensable sur le chemin d’une carrière internationale. L’artiste allemand Daniel Zerbst, 42 ans, aime la liberté que lui offre Cadaqués. Derrière le volant de la Nouvelle Classe E Cabriolet, toit ouvert, lunettes de soleil bleu clair, il longe la promenade, salue des collègues artistes et ses amis d’un geste de la main. « Normalement, ils ne me voient qu’à vélo », dit-il en affichant une satisfaction espiègle comme jadis Dalí face à l’étonnement qu’il provoquait. Délicatement, il passe la main sur le cuir Nappa rouge des garnitures. La liberté n’est qu’un mot, mais parfois, on peut la ressentir.

Daniel Zerbst est venu s’installer à Cadaqués en 1995. Il avait 20 ans et voulait échapper au petit monde un peu étroit de sa ville d’origine, Brunswick, et à l’influence de ses parents qui le poussaient à devenir enseignant. Après avoir suivi une formation d’orfèvre, puis les cours d’une école supérieure d’art, il ne voyait pas son avenir dans une salle de classe. Il a vécu de petits boulots, travaillant comme ouvrier et peintre dans le bâtiment, comme serveur, réalisant ses toiles le matin et la nuit, tout en apprenant l’espagnol. Se qualifiant lui-même de « travailleur de nuit », il ne se lève que rarement avant 10 heures du matin.

Le Casino, rendez-vous des artistes

Après le trajet en voiture, il savoure son café et se roule tranquillement une cigarette, ses lunettes de soleil dans les cheveux, la chemise ouverte. Daniel Zerbst est attablé au Casino, un café sur le port où il a ses habitudes. Des plafonds de sept mètres de haut et des fenêtres presqu’aussi hautes, des tables en bois et un long comptoir où l’on peut déguster pour la somme modique de 1,50 € ce qui est très probablement le meilleur café con leche de Cadaqués, avec le murmure aimable du barista en prime.

« Je ne me considère pas comme un surréaliste classique », confie l’artiste. Situé à seulement deux minutes à pied du Casino et au premier étage de l’ancien musée Dalí, son atelier se visite. Une quarantaine de tableaux y sont accrochés aux murs. Sur la plupart, une couleur de base, terreuse, domine. Mais une série de tableaux se démarque. Baptisée Analogue Cyber Frieze, elle fait plusieurs mètres de long et est gris-bleu. Il s’agit d’un paysage archaïque avant l’apparition ou après la disparition de la civilisation. On y voit des références à Star Wars, des aborigènes aux regards intimidés et, quelque part, Joseph Beuys nourrit un faon. Daniel Zerbst peint un monde utopique ou, au contraire, où le pire se produit. Parfois les deux se mélangent. Il appelle son art « réalisme magique ». « Tout ce que je peins », confie-t-il, « est ou a été réel, rien n’est totalement inventé ». Et l’artiste sait déjà ce qu’il fera de sa récente expérience en cabriolet, mais ne tient pas à dévoiler son idée pour l’instant. « L’inspiration a un lien avec la magie », dit-il seulement.

Rencontre avec Joaquin Lalanne

C’est dans le restaurant L’Hostal que l’on rencontre un autre artiste, Joaquín Lalanne. « On y sert le meilleur poisson », affirme cet Uruguayen de 28 ans, venu s’installer en Espagne en 2009 grâce à une bourse d’artiste. Il vit à Cadaqués depuis 2010 et les amateurs d’art voient en lui une future star. Les œuvres de sa dernière exposition à Barcelone ont toutes été vendues en un jour. Prix minimum : 5 000 € le tableau. Il cite Raphaël, Dalí, Fernando Botero et René Magritte lorsqu’on lui demande quelles sont ses influences. « Mais ce sont des géants, je ne suis qu’un nain » , dit-il avec modestie. « Mes tableaux sont un mélange des œuvres du pop art, du surréalisme et de la Renaissance. »

 

Le Cucurucu de Dali

Lors de la balade en Nouvelle Classe E Cabriolet dans Cadaqués et ses environs, Joaquín Lalanne nous montre d’abord le bar Meliton, sur le port, où Marcel Duchamp jouait du jazz chaque été. Puis la maison où habitait Richard Hamilton. Enfin, un peu à l’extérieur, un rocher dans la mer. « C’est Cucurucu », dit-il. « Ce rocher est représenté dans de nombreux tableaux de Dalí. » Joaquín Lalanne se transforme alors en guide touristique passionné. Il arrête le véhicule, se gare au bord de la route et cherche des tableaux de Dalí avec le Cucurucu sur Google. Le rocher fait aussi quelques apparitions dans ses propres tableaux, un clin d’œil en forme d’hommage.

« Dalí a fait de Cadaqués un lieu immortel », dit-il alors que l’écran de son smartphone affiche les tableaux du Cucurucu, mais aussi ceux de L’aigle de Tudela ou du Grand masturbateur, deux formations rocheuses étranges du Cap de Creus qui fascinaient Dalí. Sur le trajet qui nous mène au cap, Joaquín Lalanne est fasciné par le courant d’air chaud sur sa nuque. Il n’avait jamais entendu parler du système AIRSCARF, le chauffage de nuque. « Une écharpe invisible ? », demande-t-il avec curiosité, avant d’ajouter immédiatement et malicieusement : « Ce n’est pas un peu surréaliste ? »

 

De la mer à l’espace

La tramontane souffle un air frais près du phare du Cap de Creus. Le cap est situé dans le parc naturel qui doit ses formations rocheuses si étranges au vent et à la pluie. Daniel Zerbst aussi aime observer les rochers à la lumière changeante du soleil. « Ce paysage brutal, aux bords tranchants, semble si loin du reste du monde que j’y trouve toujours le calme », dit-il. Il regarde vers le ciel bleu et dégagé et cligne des yeux. L’une de ses œuvres a récemment été sélectionnée par la NASA. Quelque part là-haut, il y a maintenant un vaisseau spatial qui se promène dans l’espace avec ses idées à bord.