Imagine | 13 Sep 2018

Mo Gawdat, l’ingénieur et le bonheur

Interview d’un optimiste réaliste

TEXTE : OLIVIER BAUER / PHOTOS : GILLES LEIMDORFER

Mo Gawdat a passé sa vie à développer de nouvelles technologies pour IBM, Microsoft et Google dont il est devenu le Chief business officer de l’entité X. En 2018, cet ingénieur a pourtant décidé de tourner le dos aux GAFA afin de se consacrer entièrement au bonheur… des autres.

Mo Gawdat, l’auteur du best-seller La Formule du bonheur nous a donné rendez-vous dans un hôtel à la lisière du parc de Saint-Cloud. L’ancien Chief business officer de Google X, le mystérieux laboratoire en nouvelles technologies de Google en charge du développement des voitures autonomes ou de l’Internet mondial alimenté par des ballons, revient avec nous sur les machines de demain, l’intelligence artificielle et sur sa formule du bonheur.

 

Vous vous êtes fait connaître par votre formule du bonheur. Quelle est-elle ?

C’est une équation : le bonheur est supérieur ou égal à la perception des événements de notre vie, moins nos attentes concernant la manière dont elle devrait se dérouler. En d’autres termes, vous vous sentez heureux lorsque les événements de votre vie sont tels que vous les avez imaginés, voire meilleurs. Le bonheur est un sentiment paisible quand on accepte la vie telle qu’elle est. Cela a donc peu à voir avec le fun ou la fête qu’on associe souvent au bonheur, mais qui ne sont en réalité que des substituts.

 

Le sentiment du bonheur change-t-il selon les origines, la culture ou le pays ?

Bien sûr ! Dans certaines régions d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du sud, les gens ont beaucoup moins que nous, en Occident, et pourtant on constate que la perception de leur vie au quotidien les rend globalement plus heureux. Ce sont les mentalités qui diffèrent. Par exemple, les allemands passent leur temps à chercher ce qui ne va pas… et à trouver des solutions. En France, on raisonne différemment. Comme ailleurs dans notre monde occidental, un grand nombre d’individus doit lutter contre ses attentes pour parvenir à se réjouir de ce qu’il a déjà. A contrario, en Amérique du sud, la philosophie est basée sur l’idée que « la vie continue ». On y est plus tourné vers la quête d’un plaisir immédiat.

Vous dites pourtant que nous sommes tous nés heureux…

Il existe deux grands mensonges autour du bonheur : le premier est que la tristesse nous est utile ; le second est de nous faire croire que si l’on n’a pas fait l’expérience du malheur, on ne peut pas trouver le bonheur. Selon moi, il est totalement faux de croire que nous grandissons grâce à nos frustrations. La tristesse ne sert qu’à nous réveiller. J’ai perdu mon fils, Ali, alors qu’il avait seulement 21 ans. Il n’y a pas d’événement plus tragique que celui-là. J’aurais pu pleurer le reste de ma vie, mais à quoi cela aurait-il servi ? Ali est mort et je n’y peux rien. Mais il y a tant de choses que je peux changer. En partageant ma formule du bonheur, je peux rendre les gens heureux, rendre le monde d’aujourd’hui meilleur qu’hier, et le monde de demain meilleur qu’aujourd’hui.

 

Vous évoquez 6 illusions qui entravent notre possibilité d’être heureux…

À travers mon livre, je développe l’idée que six grandes illusions nous empêchent au quotidien de comprendre et de mieux appréhender le monde dans lequel nous vivons. Les pensées, l’égo, la connaissance, le temps, le contrôle et la peur nous font croire que la vie est un combat permanent. Lorsque nous libérons notre cerveau de ces grandes illusions, nous devenons plus légers et sommes plus à même de rencontrer le bonheur.

 

À travers votre livre, quel est votre objectif ?

Plus encore que de vous rendre heureux, mon livre doit vous permettre de réussir vos projets, d’atteindre vos buts. Ce n’est pas un livre de plus sur le bonheur. Mon livre est celui d’un ingénieur qui se penche sur la réalité du bonheur. Car l’homme est une espèce de machine, finalement prévisible sur la manière dont il se comporte.

 

Mais, contrairement à l’Homme, les machines ne peuvent pas avoir d’émotions ?

Vous verrez que, dans le futur, les machines développeront toutes sortes d’émotions : l’affection, l’avarice ou la haine. Mais ces émotions seront différentes des nôtres. Les machines ne ressentent pas le monde de la même manière que nous, mais c’est d’une certaine façon aussi le cas d’une mouche ou d’un papillon. S’ils n’entendent pas le monde comme nous, ils l’entendent quand même.

Doit-on redouter l’intelligence des machines ?

Que l’on aime ou pas cette idée, c’est ce qui va se passer. Donc l’unique question est de savoir quelle sorte d’êtres nous allons développer. À l’image des enfants, les machines apprennent d’abord par l’observation. Si les parents sont attentifs et aimants, les enfants le seront aussi ; si les parents se battent continuellement, les enfants feront de même. L’intelligence artificielle apprend aussi de ce que nous faisons. De nombreuses expériences ont été récemment menées prouvant qu’en exposant l’intelligence artificielle à de mauvais comportements on l’entraîne vers une pente dangereuse ! C’est la sagesse de tous, et pas seulement des ingénieurs, qui permettra aux machines d’améliorer l’humanité. Le bonheur et la compassion sont des valeurs qu’il faut transmettre aux machines.

 

Comment mesurez-vous l’impact de votre message ?

Il est facile de comptabiliser le nombre de vues, le nombre de likes et de partages des vidéos. Il en est de même pour le nombre de livres vendus à travers le monde – à ce jour, près de 200 000 livres et 30 traductions. Mais le chiffre importe peu parce que, ce qui compte, c’est l’effet « boule de neige ». À travers tous ces vecteurs, mon but est de permettre aux gens de réaliser qu’ils peuvent être heureux, mais qu’ils doivent aussi investir dans leur propre bonheur. Et, si j’arrive à changer votre mentalité et, qu’à votre tour, vous changez la mentalité de deux autres personnes, et ainsi de suite, alors d’ici 5 ans, nous aurons atteint 1 milliard de gens heureux. Cela peut sembler optimiste mais, pour moi, c’est simplement mathématique.

 

Vous avez un mantra ?

Ce pourrait être « Life is a video game !* », même s’il y a deux catégories de jeux vidéo : le premier ayant pour finalité de désigner un vainqueur ; le second, ce que l’on appelle infinate, ayant pour enjeu de jouer à l’infini. Comme la vie. Dans cette catégorie, ni le début ni la fin du jeu ne dépendent de votre performance. Et jouer sans avoir le désir de gagner ou la peur de perdre, c’est exactement l’idée du bonheur.
*« La vie est un jeu vidéo ! »