Imagine | 29 Dec 2021

Aventure sud-américaine

Deux amis à l’assaut de la plus longue route au monde

TEXTE : CHRISTINA RAHMES // PHOTOS : KEVIN LEMOS WIMMER ET LARS FISCHER

Ils se sont mis au défi de traverser la plus longue route du monde : la Panaméricaine, de l’Argentine à l’Alaska. Après sept mois de voyage, soit 18 000 km parcourus, ils sont contraints de s’arrêter au Pérou à cause de la pandémie. Kevin Lemos Wimmer et Lars Fischer rentrent en avion et abandonnent leur 300 TE dans la jungle. Plus d’un an après, ils retournent en Amérique du Sud pour retrouver leur « Benz ».

Lorsque Kevin et Lars sortent de la jungle péruvienne après une escapade de quelques semaines dans la forêt amazonienne et reprennent contact avec le monde, ils apprennent que le coronavirus s’est propagé jusqu’à se transformer en pandémie. Leur Mercedes-Benz 300 TE (S 124) est à six jours de bateau, en remontant la rivière de Pozuzo. Cette communauté d’un peu moins de 1 200 habitants est la seule colonie austro-allemande au monde. Du moins, c’est ce qui est écrit à l’entrée du village. Une aventure en-dehors des chemins battus commence, et c’est le moins qu’on puisse dire : il n’existe qu’une route, non goudronnée, qui longe des pentes abruptes et qu’il faut constamment débarrasser de la boue qui y a glissé pendant la saison des pluies.

« Là-bas, à l’est de la Cordillère des Andes, nous avons laissé notre matériel photo, nos ordinateurs et beaucoup d’affaires personnelles avant de nous enfoncer dans la jungle », explique Kevin. Et les choses vont rester ainsi, pour l’instant. Les deux amis originaires de Stuttgart n’ont plus le choix. Ils doivent prendre l’avion jusqu’à Lima, la capitale, s’isoler pendant deux semaines, puis rejoindre Francfort-sur-le-Main en transitant par Londres sur un vol d’évacuation britannique. Une fin brutale, à seulement mi-chemin. Un peu plus d’un an plus tard, ils vont tous les deux y retourner, mais revenons d’abord à l’origine du voyage.

Coup de cœur pour une Mercedes étincelante

Avant le voyage, Kevin effectuait un stage chez un tour-opérateur allemand. Il aimait se promener pendant sa pause déjeuner et, chaque jour, il passait devant un garage de réparation automobile. « Un jour, j’y ai vu une vieille Mercedes-Benz. Elle avait 154 000 km au compteur et était peinte du blanc le plus éclatant que j’avais jamais vu », raconte-t-il. Le jeune homme de 26 ans mourait d’envie d’acheter ce modèle équipé d’un moteur en ligne 6 cylindres de 180 ch (132 kW) mais il n’était pas le seul.

Le véhicule appartenait à une dame âgée, à laquelle Kevin a décrit son envie de traverser la Panaméricaine. Pour appuyer son projet, il lui a montré des photos d’un road trip qu’il avait fait au Canada, au volant d’une Classe E, ce qui a achevé de convaincre la propriétaire. « La longévité des voitures Mercedes-Benz m’a toujours inspiré. Et puis j’adore cette marque, je trouve que les vieux modèles sont toujours aussi beaux de nos jours », confesse Kevin.

Un comparse de choix pour l’aventure

Son ami d’enfance accepte immédiatement lorsqu’il lui propose de parcourir le plus long réseau routier du monde. Lars quitte sa colocation et son emploi stable pour rejoindre l’aventure. Aujourd’hui, le jeune homme de 25 ans étudie l’ingénierie industrielle à Reutlingen. « Nous vivons à un kilomètre l’un de l’autre à vol d’oiseau, et nous avons toujours eu les mêmes centres d’intérêt, c’est-à-dire le sport et les voyages », confie Kevin. « Nos parents sont aussi amis. Je pense que nous sommes deux mecs tout ce qu’il y a de plus normal », ajoute Lars.

Ensemble, ils transforment la 300 TE de 1991 en camping-car. Ils enlèvent la banquette arrière et la remplacent par un panneau de bois surélevé. Ils installent également un système de tiroirs à deux niveaux pour leurs outils, les pièces détachées et les pneus de rechange. Pour dormir, ils grimpent dans leur tente de toit mesurant 1,30 m de large, et ils cuisinent dans le coffre spacieux. Leurs effets personnels sont bien rangés dans des boîtes en aluminium. Pour tout ce qu’ils transforment, le maître mot est la facilité d’accès.

En route pour la Panaméricaine !

Peu de temps après, en août 2019, ils embarquent sur un cargo dans le port de Hambourg et naviguent pendant cinq semaines vers Montevideo, capitale de l’Uruguay. « Prendre l’avion aurait été moins cher, mais nous voulions vraiment rester près de notre voiture », précise Kevin. Les deux jeunes hommes profitent de ce long voyage pour faire du sport, se déconnecter du numérique et, surtout, apprendre l’espagnol. La mère de Kevin est brésilienne, celle de Lars est finlandaise et son père l’est aussi en partie. Les langues étrangères font partie de l’identité des deux amis. Sept mois plus tard, ils affirment tous les deux : « la Panaméricaine a élargi nos horizons, mais pas seulement. Elle nous a aussi appris une autre langue ».

Dans les semaines qui suivent, les deux jeunes hommes quittent l’Uruguay, voyagent en Patagonie et se rendent à Ushuaïa, en Argentine, l’une des villes les plus australes du monde. De là, ils entament leur périple panaméricain, le long de la Cordillère des Andes et à travers le Chili, dont le sud est peu peuplé. Ils remontent ensuite les provinces du nord de l’Argentine jusqu’au Pérou.

Dans les Andes, ils passent du niveau de la mer à une altitude de 4 700 m, et conquièrent ainsi l’un des plus hauts cols de la chaîne de montagnes. « Notre voiture en avait toujours sous le capot. Nous pouvions doubler les autres véhicules à tout moment », affirme Kevin. Les deux amis sont particulièrement touchés par l’Argentine. « Nous avons fait tellement de rencontres, des personnes parfaitement heureuses sans aucune richesse matérielle, tout simplement parce qu’elles sont avec leur famille », raconte Lars.

Retour au Pérou et retrouvailles avec leur S 124

Nous sommes en mai 2021. Kevin et Lars viennent d’atterrir à Lima, ils ont loué une voiture et se mettent en route pour retrouver leur Mercedes. « C’était un énorme choc culturel. Lors de notre premier voyage, nous venions de passer plusieurs mois sur la route. Mais cette fois, nous avons pris l’avion », nous raconte Kevin. « Nous avons vu des chiens malades, et encore plus d’enfants qui vendaient des chewing-gums dans la rue », décrit Lars, en cherchant les bons mots pour décrire l’atmosphère qui régnait. Les élections présidentielles approchaient, la pandémie avait plongé le pays dans une crise économique et il n’y avait pratiquement pas de touristes.

Depuis la capitale du Pacifique Sud, ils parcourent près de 500 kilomètres en direction du nord-est jusqu’à la colonie située à la lisière de la forêt amazonienne. Pozuzo, le village aux maisons en bois de style alpin, se trouve à 750 mètres au-dessus du niveau de la mer. En 1857, des Rhénans et des Tyroliens se sont installés au Pérou pour contribuer à l’expansion de la colonie. De nombreux descendants de ces émigrants y vivent encore de nos jours et parlent toujours allemand.

À leur arrivée chez Hans, l’aubergiste qui a recueilli la « Benz » pendant un an, les deux amis sont soulagés. Leur compagne de voyage se trouve sous un abri à voiture, une fine couche de sable rouge s’est déposée sur la peinture blanche, comme un voile. Kevin et Lars remplissent les valises vides qu’ils ont amenées avec les affaires qu’ils avaient dû abandonner à l’époque. La S 124 restera là pour l’instant, et accompagnera Kevin et Lars dans leurs vacances aux États-Unis. Les deux amis rêvent toujours de terminer la Panaméricaine. Ils le feront un jour, et reprendront exactement de là où ils se sont arrêtés.