She's | 12 Nov 2020

Et Coco Chanel inventa la femme moderne

L’histoire d’une mode créée par des femmes pour les femmes

TEXTE : MAXIME SCHOUPPE // PHOTOS : D.R.

Le N° 5, le tailleur en tweed, le sac matelassé, les souliers bicolores, le monogramme au double C… Autant de symboles intemporels de la révolution dans la mode féminine que Coco Chanel déclencha il y a plus d’un siècle. Le Palais Galliera accueille la première rétrospective en France consacrée à la couturière iconique.

Il y a des destinées insoupçonnées. Lorsque Gabrielle Chasnel naît le 19 août 1883 à Saumur, ce n’est a priori pas sous un astre favorable. Son père nîmois est camelot et sa mère auvergnate couturière. À douze ans, Gabrielle se retrouve dans un orphelinat après la mort prématurée de sa mère. Elle y apprendra la couture. Cet abandon ne l’empêche pas de vouer une adoration sans bornes à son père, frustré qu’il était de n’avoir pu conquérir le monde. Pour épater ses camarades – et sans doute parce qu’elle était en manque de rêves –, Gabrielle ira jusqu’à lui inventer un destin d’aventurier parti faire fortune en Amérique. C’est du moins ce que dit la légende. Ce qui est certain, c’est qu’à 24 ans, en 1907, elle est « cousette » à Moulins. Attirée par la scène, elle pousse la chansonnette au célèbre Grand Café. Elle conserve de cette époque son surnom « Coco », parce qu’elle chante souvent l’air populaire « Qui qu’a vu Coco sur l’Trocadéro ? ».

Dandysme

Gabrielle fait des ravages auprès de nombreux jeunes gens de la haute société et, deux ans plus tard, elle ouvre à Paris un atelier de chapeaux. En 1910, elle inaugure sa boutique « Chanel Modes » – supprimant au passage le « s » de son nom de baptême – dans la rue Cambon, près du Jardin des Tuileries. Le succès ne se fait pas attendre. En 1912, ses chapeaux sont vantés dans la presse américaine et elle ouvre une deuxième boutique à Deauville. Gabrielle voit grand. Elle se lance dans le sportswear féminin et propose aux dames de la Belle Époque des marinières, des vestes et des blouses, toutes empruntées à la mode masculine bien plus confortable à porter…

La Première Guerre mondiale n’a pas encore éclaté, mais Coco Chanel a déjà l’intuition d’une révolution dans la position sociale de la femme. Elle adopte une forme de dandysme tout à elle, avec ses cheveux courts et ses multiples amants, à qui elle emprunte vestes et cravates et dont elle va jusqu’à imiter la posture, l’insouciance et l’insolence. Coco Chanel bouscule la bienséance, brouille les pistes et s’affirme en femme moderne.

Irrésistible ascension

La guerre n’arrête pas la machine à succès. En 1915, c’est l’ouverture de sa première maison de couture à Biarritz, la ville balnéaire basque attirant alors une clientèle riche et cosmopolite. Trois ans plus tard, la voilà couturière à Paris – au 31 rue Cambon, qui deviendra son adresse emblématique. Au cours des dix années suivantes, sa bonne étoile se manifeste dans tout son éclat. Elle crée sa petite robe noire, se lance dans les parfums (son tout premier, l’intemporel « N° 5 », demeurant le plus emblématique), dans le maquillage et la joaillerie, elle crée la première gamme de soins, ouvre une maison de couture à Londres… Elle va jusqu’à s’offrir sa propre usine de tissage, afin d’obtenir les tissus exclusifs qu’elle destine à la femme de l’entre-deux-guerres. Des tissus réputés « pauvres », comme la maille et le tweed, auxquels elle va donner leurs lettres de noblesse. Ces tissus souples et fluides, qui respectent le corps de la femme moderne et lui offrent une aisance inédite, sonnent le glas du corset traditionnel.

Élégance et simplicité

Mais, pour son plus grand coup d’éclat, il faut attendre 1954. À plus de soixante-dix ans, Coco Chanel sort de la retraite qu’elle s’est imposée à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, après avoir été accusée de collaboration. Opposée au New Look de Christian Dior, qui revient aux anciens canons de la féminité, elle rouvre sa maison de couture et présente son fameux tailleur tweed. Accueilli froidement par la presse parisienne, ce vêtement manifeste réunit tous les principes qui caractérisent le style Chanel : une conception de l’élégance qui marie simplicité et naturel. Coco Chanel, qui ne dessine pas ses modèles mais les crée directement sur le corps, a évacué les drapés compliqués et autres chichis surannés. Le résultat : une tenue qui tient compte des nouveaux modes de vie, que l’on peut porter à tout moment de la journée et à tout âge. Quant au dépouillement de la silhouette, il est compensé par une profusion d’accessoires tels que le sac 2.55, reconnaissable entre tous par son rabat, ses losanges surpiqués créant un effet matelassé, son fermoir à tourniquet et sa bandoulière à double usage. Toujours le même concept : chic, mais pratique.

Intemporel

Les principes que Coco Chanel a revisités, actualisés, affinés jusqu’à son dernier souffle, en 1971, sont les fondements d’un style unique qui survit depuis près d’un demi-siècle à sa créatrice. Toujours aussi intemporel, toujours aussi reconnaissable à travers sa réincarnation géniale par Karl Lagerfeld.

L’exposition « Gabrielle Chanel. Manifeste de mode » au Palais Galliera, le musée de la mode de la Ville de Paris, raconte cette aventure humaine et esthétique, cette destinée invraisemblable à l’aide de plus de 350 pièces datées des années 1910 à 1971, issues du Patrimoine de CHANEL, des collections du Palais Galliera et de différents musées internationaux. L’exposition dure jusqu’au 14 mars prochain.

www.palaisgalliera.paris.fr
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