She's | 24 Jun 2020

Regards croisés sur l’avenir de l’automobile

Britta Seeger rencontre Hildegard Wortmann : échanges sur le plaisir de conduire, l’émancipation et la stratégie.

INTERVIEW : MIRELLA SIDRO // PHOTOS : PHILIPP MUELLER

Une constellation extraordinaire pour une interview : Britta Seeger, membre du Comité de direction de Daimler AG et Mercedes-Benz AG et responsable du marketing et des ventes, a rencontré Hildegard Wortmann, membre du Comité de direction de AUDI AG et responsable des ventes et du marketing. Elles se sont entretenues avec DRIVE, le magazine automobile de la Stuttgarter Zeitung, au sujet des défis actuels dans le domaine des ventes et du marketing, de la diversité et du leadership.

En tant que membres du Comité de direction de Daimler AG et Audi AG, Britta Seeger et Hildegard Wortmann incarnent l’augmentation du nombre de femmes à des postes de direction qui influencent le secteur automobile. Échanges sur le plaisir de conduire, l’émancipation et la stratégie. 

 

DRIVE : Mme Seeger, Mme Wortmann, quelle était votre première voiture ?

  • BRITTA :  

    La VW Coccinelle Cabriolet de 1971 de ma mère. La Coccinelle m’appartient depuis maintenant deux ans. Je suis toujours en train de la restaurer, avec beaucoup d’amour et d’attention.

  • HILDEGARD  :  

    J’avais une VW Polo vert vif. Je l’ai payée moi-même à l’époque, en donnant des cours privés. Il fallait avoir un permis de conduire et une voiture devant la maison le jour de ses 18 ans.

Et aujourd’hui ?

  • HILDEGARD  :  

    Je reste une conductrice passionnée. Même si je ne fais pas partie de la division mécanique, j’adore les voitures anciennes, et j’ai même participé à la course des Mille Miglia à trois reprises. En tant que membre du Comité de direction, j’ai la chance de pouvoir choisir parmi une très grande flotte, et j’en profite pour tester nos modèles.

  • BRITTA :  

    J’aime aussi conduire différents véhicules, et je préfère voyager en voiture quand je le peux. Je continue d’être une grande passionnée de cabriolets.

Quels effets pensez-vous que la crise du COVID-19 aura sur le secteur automobile ?

  • HILDEGARD  :  

    Toutes les grandes crises ont un point commun : elles incitent les gens à se serrer les coudes, à trouver des solutions créatives… ce qui, souvent, accélère certaines évolutions ou met en évidence des voies entièrement nouvelles à emprunter. C’est également le cas de la crise du COVID-19, qui a largement intensifié la mégatendance de la numérisation, et ce au-delà du seul secteur automobile. En vue de rester en contact avec nos clients, nous nous sommes fortement concentrés, ces dernières semaines et ces derniers mois, sur nos outils et services numériques. Nous allons continuer de soutenir cette stratégie en faveur de modèles commerciaux numériques.

  • BRITTA :  

    Cette pandémie a aussi accéléré le recours aux technologies numériques chez nos clients. En concertation avec nos partenaires distributeurs, nous avons renforcé nos offres en ligne, ce qui a été bien reçu. Nous allons nous focaliser encore davantage sur le numérique et les services sans contact.

  • HILDEGARD  :  

    En outre, il est important pour moi de veiller à une communication ouverte et transparente dans le cadre de nos relations « sans contacts » avec mes collègues et mes partenaires dans le monde entier, d’encourager tout le monde et de toujours donner une perspective sur notre avenir commun.

  • BRITTA :  

    Je suis du même avis. Nous ne pourrons maîtriser les défis actuels qu’ensemble, en équipe. La situation nous a prouvé que la mobilité individuelle est et reste un produit extrêmement précieux. Bien sûr, nous allons continuer d’intervenir dans le débat public sur la durabilité et la mobilité neutre en carbone, comme nous le faisions auparavant.

Le secteur subissait déjà une transformation majeure, avant même que ne survienne la crise. Comment pouvez-vous inspirer les consommateurs à l’avenir ?

  • BRITTA :  

    Je peux vous dire avec exactitude le modèle que je conduisais à chaque période de ma vie. Je ne suis pas la seule à avoir le sentiment que les voitures sont l’expression d’une attitude envers la vie. L’excitation et l’émotion suscitées chez le client jouent un rôle majeur dans l’achat d’une voiture. Nous traversons toutefois une phase de transformation. Prenons mon cas comme exemple : j’ai des triplés sur le point de passer à l’âge adulte. Ils ont accès à des services complets de transports en commun, bus de nuit, autopartage, toute une infrastructure dont nous ne disposions pas dans le temps. Elle permet de ne pas posséder de voiture jusqu’à un certain âge, jusqu’à ce que la situation personnelle commence à changer. À l’avenir, le processus visant à satisfaire les besoins de mobilité des consommateurs continuera d’être extrêmement personnalisé.

  • HILDEGARD  :  

    Je considère les bouleversements actuels comme une occasion à saisir pour nos marques. Il est rare qu’un véhicule premium réponde uniquement à un besoin de mobilité. Il est plutôt question d’un petit plus, comme je le disais, d’une attitude envers la vie. Les émotions constitueront toujours un argument dans la décision d’acquérir une voiture.

Les voitures vont-elles donc redevenir un symbole de statut ?

  • HILDEGARD  :  

    Elles seront plutôt le lieu d’expériences particulières. Des statistiques existent sur le temps passé en voiture, et indiquent surtout une tendance à la hausse. Nous voyons un immense potentiel commercial dans l’influence que nous pouvons exercer dans ce domaine à l’aide du design et de services, surtout en matière de connectivité.

  • BRITTA :  

    Les mégalopoles sont très exigeantes envers nous sur le plan de la mobilité de nos clients. Je m’en suis rendu compte personnellement quand je vivais à Séoul et à Istanbul et que je passais des heures coincée dans les embouteillages. Ces moments sont propices à l’émergence d’émotions, et il est alors particulièrement important que les clients aient une sensation de confort absolu dans leur voiture.

Quelle sera l’importance des distributeurs locaux dans le cadre de ce processus ?

  • BRITTA :  

    Je suis convaincue que l’expérience personnelle d’une marque est un facteur stratégique clé, surtout dans un monde numérisé. Plus de 80 pour cent de nos clients continuent de vouloir recevoir des conseils en personne et de faire un essai de conduite. À quoi ressemblera la distribution d’ici dix ans ? Elle aura subi de nombreux changements : nous commençons déjà à les observer dans le comportement des consommateurs. Par le passé, ceux qui signaient un contrat de vente s’étaient rendus chez le vendeur jusqu’à huit fois au préalable. Aujourd’hui, le nombre de visites est réduit à une ou deux. Cela prouve que les aspects numériques prennent de l’importance dans le processus d’achat d’une voiture.

  • HILDEGARD  :  

    Lorsque, d’un côté, les plates-formes se numérisent de plus en plus, d’un autre côté, les interactions en personnes acquièrent plus de valeur. Il existe un nouveau terme extraordinaire, « phygital », qui exprime la fusion du physique et du numérique. Il doit devenir une entité à part entière et afficher une identité de marque attrayante aux yeux des consommateurs.

Les constructeurs automobiles ont toujours été plutôt dominés par les hommes. Où identifiez-vous des défis en matière de diversité et d’égalité femme-homme ?

  • BRITTA :  

    Je travaille pour Mercedes-Benz depuis maintenant 30 ans. Aujourd’hui, les femmes occupent près de 20 pour cent des postes de direction de Daimler dans le monde. Mais il est vrai que, quand on s’intéresse uniquement aux chiffres, cet univers est plutôt masculin. Malgré cela, je n’ai pas de problème pour me faire entendre ici. S’il m’est arrivé de ne pas savoir m’imposer dans certaines situations, cela n’avait rien à voir avec le fait que je suis une femme, mais plutôt avec mes arguments qui n’étaient pas convaincants. Il s’agit simplement d’une compétition naturelle. J’essaie de dire aux jeunes femmes d’être authentiques, de se concentrer sur leurs propres forces et de ne pas trop se focaliser dès le départ sur le problème de l’égalité femme-homme.

  • HILDEGARD  :  

    Nous pouvons profiter de notre position pour servir de modèle positif. Notre domaine n’est plus un secteur sidérurgique. Il évolue de plus en plus vers la haute technologie. L’ancien modèle homme-femme transmis de génération en génération n’est plus d’application ici. Au contraire, l’intérêt envers les nouveaux médias et la numérisation joue un rôle prépondérant qui n’a rien à voir avec le sexe. Trente pour cent de nos stagiaires sont aujourd’hui des femmes, nous comptons une deuxième femme au sein du Comité depuis avril, etc. Beaucoup de choses bougent. Bougent-elles assez vite ? Non. Devons-nous en faire plus ? Oui. Mais je vois les choses sous un angle beaucoup plus positif qu’il y a quelques années à peine.