Chacun connaît des grands noms du photojournalisme comme Henri Cartier-Bresson, Robert Capa ou Steve McCurry, mais on cite rarement des noms de femmes. « Elles ont toujours eu une place dans ce métier », affirme pourtant Jean-François Leroy, fondateur et directeur du festival international de photojournalisme Visa pour l’image. Dès les années vingt, des femmes sont en effet passées derrière l’objectif, telles Dorothea Lange avec ses clichés de la Grande Dépression ou Tina Modotti, qui a immortalisé le Mexique post-révolutionnaire. Les femmes photojournalistes représentent aujourd’hui un cinquième des reporters photographes. Une faible proportion ? Peut-être, mais leur nombre est en constante progression et leur talent indéniable !
Imposer ses atouts sur le terrain
« Sur un terrain de conflit, c’est une question de courage, pas de sexe. Il n’y a que des bons et des mauvais photographes », indique Jean-François Leroy. Si l’ancien rédacteur en chef de plusieurs magazines photo et ex-collaborateur de l’agence Sipa ne fait pas de distinction de genre, les femmes photojournalistes doivent malgré tout réussir à s’intégrer dans un milieu essentiellement masculin. « Sur le terrain, les collègues ne m’ont pas sous-estimée. C’est un métier difficile en soi ; il faut se faire une place c’est tout », estime Viviane Dalles, lauréate 2015 du prix Canon de la femme photojournaliste, décerné chaque année au festival Visa, pour son sujet sur les mères adolescentes dans le nord de la France.
Viviane Dalles
“Sur le terrain, les collègues ne m’ont pas sous-estimée. C’est un métier difficile en soi ; il faut se faire une place c’est tout”
Le fait d’être une femme constitue aussi un avantage. « Pour mon sujet sur les violences sexuelles dans l’armée française, les victimes étaient rassurées, plus ouvertes au dialogue », raconte Axelle de Russé, qui a débuté en autodidacte il y a dix ans et a également remporté le prix Canon en 2007 pour son reportage sur le retour des concubines en Chine. « Au Moyen-Orient, on a plus de facilités pour entrer en contact avec les femmes et accéder à leurs lieux de vie. On peut les voir sans niqab, partager des moments d’intimité, recueillir des confidences… ce serait impossible pour un homme », renchérit la franco-espagnole Catalina Martin-Chico, qui s’est tournée vers le photojournalisme à la trentaine et a reçu un Visa d’or humanitaire en 2011 pour ses photos sur le Yémen.
Des yeux sur le monde
Le fait d’être une femme aurait-il une influence sur le choix des reportages ?
« C’est sûr qu’il y a des sujets que l’on ressent plus que les hommes, pour lesquels on a une empathie, mais c’est surtout la curiosité qui dicte mes choix », explique la jeune Montréalaise Adrienne Surprenant, qui s’intéresse aux questions d’identité, de nation et de déracinement et dont le travail sur le canal interocéanique au Nicaragua a été exposé au festival Visa en 2015. La curiosité est aussi un facteur déclenchant pour Catalina Martin-Chico : « Je choisis des sujets peu traités pour mettre de la lumière là où il n’y en a pas, proposer une fenêtre ouverte sur des populations minoritaires, des injustices… Quand on fait ce métier, on se sent investi d’un devoir d’informer. »
Outre ce rôle journalistique, ces professionnelles de l’image font aussi passer des messages. « Quand je pars au Somaliland pour montrer la sècheresse et la famine alors que l’attention médiatique est ailleurs, c’est une forme de dénonciation afin de faire prendre conscience de ce qui se passe là-bas », explique Adrienne Surprenant.
Pour Axelle de Russé, les motivations ont évolué : « Au début, c’était une passion pour un métier d’aventures, de voyages, de rencontres. Puis c’est devenu un engagement. Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression que ça fasse bouger les choses, alors je travaille sur des sujets plus personnels et je m’inscris plutôt dans une démarche d’auteur. »
Une profession en pleine mutation
Quand on les interroge sur leurs difficultés, les photojournalistes ne parlent ni du danger ni de la peur, mais de la recherche de financements. Les budgets ont baissé et les frais de reportages sont de moins en moins pris en charge, de nombreux magazines préférant désormais acheter des sujets « clé en main ». Or, faire un sujet à l’étranger engage beaucoup de frais. « Pour des raisons de sécurité, il faut un fixeur sur place qui prépare notre arrivée, obtient des autorisations. Il nous faut aussi une voiture, un chauffeur, un interprète et un hôtel sécurisé. Plus on travaille dans des pays dangereux, plus il faut d’argent. Avant, la presse était protégée, maintenant, en plus du risque de prendre une balle perdue, on est des cibles, on a une valeur marchande », explique Catalina Martin-Chico. Axelle de Russé ajoute : « Dans notre métier, le statut de salarié n’existe plus, on est tous freelance et il faut savoir gérer une petite entreprise ». Rédiger des synopsis, démarcher les rédactions, faire les photos, assurer la post-production… La polyvalence est de mise. « C’est 80 % de difficultés et 20 % de plaisir, mais j’ai ce métier dans la peau et je ne peux pas imaginer faire autre chose ! », confie Catalina.
Des oeuvres d'art ?
Leur métier, qui témoigne du monde dans lequel on vit est capital pour continuer à relayer une information plurielle et de qualité. « La photographie documentaire est un travail au long cours qui donne aux images une profondeur qui touche les gens et leur permet de comprendre la situation », explique Viviane Dalles. C’est aussi ce qui distingue les images des professionnels de celles massivement diffusées sur Internet et les réseaux sociaux, où les sources ne sont pas toujours vérifiées, ce qui augmente le risque de propagation rapide de fausses informations.
Malgré la complexité du métier, le photojournalisme continue de faire rêver. L’adaptation cinématographique du livre Tel est mon métier, mémoires d’une photographe de guerre au XXIe siècle de l’américaine Lynsey Addario par Steven Spielberg devrait prochainement le mettre en lumière. Et demain, les clichés des photojournalistes se retrouveront peut-être dans les musées. En janvier 2017, lors d’une expo-vente à Paris, la commissaire-priseur Pascale Marchandet déclarait : « Il ne fait plus de doute que le photojournalisme soit entré dans l’histoire de l’art durant le XXe siècle. Ces icônes, outre leur fantastique impact émotionnel, répondent à tous les critères des arts dits majeurs. Leur parti pris, leur construction, leur expressivité, leur beauté souvent brutale les ont propulsées au Panthéon de nos musées imaginaires. » En attendant, de nombreuses œuvres seront à découvrir lors de la 28e édition du festival Visa pour l’image, qui se tiendra cette année du 2 au 17 septembre 2017 à Perpignan.
“Au début, c’était une passion pour un métier d’aventures, de voyages, de rencontres. Aujourd’hui, je travaille sur des sujets plus personnels.”
Axelle de russé
Zoom sur le Festival Visa
PLUS GRAND FESTIVAL INTERNATIONAL DE PHOTOJOURNALISME, VISA POUR L’IMAGE A LIEU TOUS LES ANS À PERPIGNAN
Rendez-vous exceptionnel des amoureux de la photographie, le festival réunit des milliers de visiteurs autour d’une même passion. Les expositions sont réparties dans toute la ville, l’occasion de découvrir de saisissants reportages, réalisés par des photojournalistes du monde entier. Des soirées de projections en plein air sont aussi organisées dans le somptueux cadre médiéval du cloître du Campo Santo. Au programme également : des colloques, des rencontres et les stands des agences et des grandes marques de la technologie photographique. Rendez-vous à Perpignan du 2 au 17 septembre.