Tracy Chou est la fondatrice et PDG de Block Party, une start-up qui développe des solutions contre le harcèlement et les abus en ligne. En 2016, avec sept collègues, elle a fondé Project Include, une association qui aide les start-up du secteur technologique à augmenter la diversité et l’inclusion dans leurs rangs.
Vous avez étudié l’électrotechnique et l’informatique et vous ne pouviez toujours pas imaginer travailler en tant que développeuse de logiciels. Pourquoi pas ?
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TRACY :
La réponse simple est : le sexisme et la misogynie. Les influences sociales et culturelles, des expériences à l’école, les remarques de camarades de classe et de mentors : tout cela m’a dissuadé d’aspirer à une carrière de développeuse de logiciels. Au début de ma carrière dans le secteur technologique, j’ai toujours été entourée d’hommes, certains d’entre eux me désapprouvaient ouvertement, d’autres me harcelaient sexuellement. J’étais constamment poussée vers la gestion de produits, le marketing et d’autres rôles non techniques. Personne ne m’a encouragée à travailler en tant que développeuse, jusqu’à ce que je rencontre le manager qui m’a enfin donné mon premier poste à temps plein dans ce rôle. Ces expériences désagréables ont été compensées par la force et le plaisir que j’ai ressentis en programmant et en créant des produits numériques.
Que recommandez-vous aux entreprises technologiques qui souhaitent une diversité plus grande ?
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TRACY :
Malheureusement, il n’existe pas de check-list pour la diversité et l’inclusion. Mais je recommanderais à chaque entreprise de surveiller les chiffres clés et de se fixer des objectifs. Nous avons besoin de données afin de savoir où en est l’entreprise. C’est aussi le seul moyen de savoir dans quels domaines il y a beaucoup à faire et si les efforts portent réellement leurs fruits.
En 2013, avec un annuaire numérique, vous avez aidé des entreprises technologiques à divulguer leur pourcentage de femmes. Le résultat en 2020 aurait-il été différent ?
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TRACY :
La bonne nouvelle, c’est que cet annuaire n’est pas voué à rester un exercice intellectuel, car de nombreuses entreprises publient désormais des rapports annuels sur la diversité. Nous pouvons ainsi entièrement nous fier à des données existantes. Cependant, la mauvaise nouvelle est que les données n’indiquent pas d’évolution significative. Pour être juste, je dois reconnaître que le pourcentage de femmes dans le secteur technologique a légèrement augmenté. Cependant, cette augmentation ne se situe que dans la fourchette de pourcentage à un chiffre. Et malheureusement, nous avons observé que la baisse des inégalités entre les sexes est accompagnée dans certains cas d’un recul de la diversité ethnique. Actuellement, ce secteur semble encore réservé à un petit groupe homogène d’individus, principalement des hommes blancs et souvent autrement privilégiés. Si ce cercle « restreint » est ensuite élargi pour inclure quelques femmes au nom de la diversité, cela ne résout pas le problème. Pour parvenir à l’inclusion, nous devons abandonner l’exclusion.
Que peuvent faire les femmes du secteur technologique pour améliorer leur participation ?
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TRACY :
À ce sujet, il existe une hypothèse fondamentale que je remets en question, à savoir qu’il incombe aux femmes de changer un secteur dominé par les hommes, qui les exclut systématiquement. Les femmes sont sous-représentées, elles sont souvent ignorées lors des promotions, licenciées ou évincées de leur emploi. Ceux qui devraient assumer des responsabilités, ce sont ceux qui occupent des positions de force et privilégiées.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
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TRACY :
Sur ma nouvelle start-up technologique, Block Party. Nous développons des solutions afin de lutter contre le harcèlement dans l’espace numérique et de redonner aux individus plus de contrôle et de sécurité en ligne. Pour moi, il y a aussi une dimension personnelle. J’ai en effet été victime de harcèlement en ligne à plusieurs reprises. Cela a changé ma vie pour toujours. Comme dans mon cas, le problème concerne de manière disproportionnée les femmes, les non-blancs et les autres groupes sociaux sous-représentés. En fin de compte, la seule chose que je puisse faire pour résoudre le problème par moi-même est de créer une entreprise qui le résoudra aussi pour tout le monde.