Au début, nous nous sommes dit : tenons le coup, ces quelques semaines de confinement passeront vite. Une petite pause et la vie reprendra son cours. Mais au lieu d’abandonner notre bureau à domicile, il a fallu se faire aux circonstances exceptionnelles devenues notre quotidien. Et nous nous sommes adaptés, vraiment. La chaise sur laquelle nous travaillions a été remplacée par un siège ergonomique, la chambre d’amis par un bureau, la cafetière électrique par une machine à expresso, les murs blancs ont été repeints, et les dalles usées de l’entrée ont enfin laissé place à un parquet en chêne foncé. Un monde confiné doit au moins ressembler à un monde parfait.
Lutter contre l’ennui
Pendant les premiers jours de la pandémie, nous avons surtout cherché à lutter contre l’ennui. Puis nous avons consacré du temps à entreprendre ce que nous voulions faire depuis toujours : du bricolage, de l’aquarelle, des légumes fermentés, lire tous les livres achetés et reçus au fil des ans. Un art de vivre à la maison s’est installé. Comme dans les peintures de la période Biedermeier (début du XIXe siècle en Allemagne et en Autriche), nous nous sommes assis dans des fauteuils confortables, devant de belles armoires, le dos à la fenêtre. Sauf que la fenêtre ouverte n’était et n’est toujours pas un symbole du monde extérieur, mais plutôt un symptôme de la pandémie : nous aérons pour dissiper le virus. Nos ordinateurs et nos smartphones ont remplacé la fenêtre qui donne sur le monde. À l’aide des bonnes applications, ils deviennent d’incroyables instruments pour élargir nos horizons.
Nous pouvons désormais assister à des concerts ou à des expositions en ligne, y compris à Tokyo et à San Francisco ; nous pouvons montrer à nos parents notre nouvelle robinetterie ou les dents de lait de leurs petits-enfants. Grâce à de nouvelles applications sur les réseaux sociaux, nous bavardons avec des connaissances comme avec des inconnus sur la formulation de l’égalité de genre ou sur la taille des rosiers. Nous participons sur Zoom à des cours pour apprendre la technique de la broderie en 3D ou le macramé ; nous faisons du yoga avec la professeure originaire de Miami rencontrée lors d’une retraite au Maroc. L’offre est sans limites et ne dépend plus de l’emplacement géographique.
Accélération de l’exode urbain
Une fois que nous avons compris cela, nous avons aussi compris que peu importe d’où nous nous connectons pour être joignable en télétravail. C’est alors qu’un mouvement déjà perceptible avant la pandémie s’est brusquement accéléré : l’exode urbain. Car tout ce qui fait l’attrait de la vie dans les grandes villes, dans des appartements étriqués, sans balcon et hors de prix, a disparu pendant le confinement : les restaurants, les discothèques, les galeries et les théâtres. Si la plupart des gens hésitaient à déménager à la campagne en raison des trajets ou de l’absence de magasin de sneakers, on rêve maintenant plus que jamais de combiner le meilleur des deux mondes. Le livreur trouve désormais les endroits les plus reclus du monde.
L’entrepreneur ultra créatif Lionel Bensemoun, ex-figure des nuits parisiennes, a par exemple réussi à convaincre ses amis artistes d’aller vivre à la campagne. En pleine pandémie, il a ouvert un hôtel-résidence pour artistes à Barbizon, à côté de la forêt de Fontainebleau. C’est dans ce petit village à une heure de route de la capitale qu’il y a deux cents ans déjà, un groupe d’artistes s’installait, ouvrant la voie à l’impressionnisme. Quel mouvement artistique révolutionnaire naîtra ici cette fois ? Peut-être de gigantesques installations en extérieur.
Attendre que la vie reprenne
Mais que reste-t-il lorsque l’on passe de plus en plus de temps enfermé entre quatre murs ? Lorsque le monde extérieur, de l’autre côté de la vitre, se fait de plus en plus distant ? Lorsqu’il n’y a plus d’amis pour s’asseoir sur le nouveau canapé ? La solitude.
Nous sommes assis dans notre maison (rénovée) avec jardin. Il y a notre famille, le chiot nouvellement adopté, les livres de cuisine, le piano, le punch needle pour la broderie en 3D et le macramé. Et nous attendons. Que la vie reprenne. Car nous sommes toujours en mode veille. Ce qui a de bons côtés, bien sûr. Parce que nous n’avons que rarement eu l’occasion de faire le point sur nos conditions de vie idéales et sur nos raisons de vivre. Pour être heureux, nous avons besoin de gens proches. Avec lesquels nous pouvons rire avec insouciance, sans avoir à mettre de distances.
De nouvelles habitudes durables
Tout cela a donné naissance à un nouveau romantisme. Une forme de nostalgie ne cesse de grandir : ne plus seulement observer la vie mais la vivre. L’ombre des arbres, une douce brise au bord de la rivière, les vagues dans la mer, mais aussi la proximité de nos semblables. Nous voulons reprendre le contact avec les autres, les laisser nous inspirer, découvrir de nouvelles choses, et ne plus seulement voyager en pensée.
Même si le monde s’est rouvert au moment de la publication de cet article, les tendances apparues pendant la pandémie resteront. Nous nous sommes habitués à cette nouvelle vie depuis si longtemps qu’il n’y a aucune raison pour que ce monde ne s’installe pas durablement chez nous. Nous avons appris à quel point cela nous fait du bien de regarder à l’intérieur, et surtout de faire ce qui sert notre bien-être et celui de nos amis proches et de notre famille.