Les clichés suscitent toujours les mêmes réactions. Soit on en accepte les limitations, soit on les combat délibérément. Dalad Kambhu a opté pour la seconde solution et prend ainsi clairement position. Vous ne trouverez pas de baguettes au Kin Dee – mot qui signifie « bien manger » –, son restaurant thaïlandais situé à Berlin. Et sûrement pas ce classique qu’est la soupe Tom Kha Kai. En lieu et place des habituelles statuettes kitsch, la salle est équipée de meubles en bois combinés à des œuvres d’art intemporelles.
Un talent récompensé d’une étoile Michelin
Autre préjugé combattu par Dalad Kambhu : la cuisine thaïlandaise se cantonne aux snack-bars et aux currys. Cette femme de 33 ans célèbre la cuisine de Bangkok, sa ville natale, et associe ses souvenirs d’enfance à des arômes complexes. « Si je devais détailler mon plat préféré de l’époque, cela me prendrait au moins une heure », sourit-elle. Voilà sans doute pourquoi ce génie de la cuisine associe toutes sortes d’ingrédients dans ses menus, mélange du calamar avec de la sauce Kaprao piquante, de la truite des fjords avec des coquilles Saint-Jacques… Et tout cela avec une telle adresse qu’elle a obtenu une étoile Michelin au début de l’année.
L’attribution en Allemagne de la plus grande distinction gastronomique – et ce pour de la cuisine thaïlandaise – a fait sensation dans le secteur. En outre, Dalad Kambhu fait partie des dix seules femmes étoilées du pays, contre 299 hommes. Cette domination masculine dans le secteur gastronomique ne plaît guère à Dalad Kambhu. Dans le monde des chefs cuisiniers, les femmes ne sont toujours pas traitées sur un pied d’égalité. Avec son approche nouvelle, elle souhaite faire évoluer le secteur, renforcer la position des femmes. « Nous devons être aimables entre nous, discuter et parler ouvertement des problèmes », affirme-t-elle. « Nous devons aussi exprimer notre colère, l’utiliser pour nous soutenir les unes et les autres. »
Du mannequinat aux fourneaux
Comment Dalad Kambhu a-t-elle appris son art ? « Je cuisine avec mon cœur et à partir de mes souvenirs. Par ailleurs, je n’ai pas peur de me tromper. Pour moi, l’erreur fait partie du succès. Ce qui m’étonne, c’est que souvent, d’autres personnes tentent de m’expliquer la cuisine de mon propre pays. Quel goût elle devrait avoir, que les ingrédients devraient être le moins cher possible. Je trouve que ma culture mérite un peu plus de respect. Pour préparer une bonne cuisine thaïlandaise, d’excellents ingrédients sont la base indispensable. »
Dalad Kambhu fait face à des préjugés en tout genre depuis longtemps, avant même d’entrer dans l’univers de la gastronomie. Dans son pays, elle ne correspondait pas aux idéaux de beauté à cause de sa peau foncée et de sa silhouette élancée. Partie à New York à 20 ans pour étudier le commerce international et le marketing, elle a un beau jour été engagée comme modèle. Quand quelqu’un lui a suggéré de manger moins pour rester mince, la jeune femme a arrêté sa carrière de mannequin. Elle a commencé à travailler dans des restaurants mais elle se retrouvait toujours en salle comme serveuse à cause de son physique avantageux. Elle a donc suivi sa propre voie jusqu’à ce qu’elle puisse faire ce qui lui plaisait : être aux fourneaux.
Les produits régionaux à l’honneur
Le célèbre artiste thaïlandais Rirkrit Tiravanija, rencontré à New York, l’a aidée à créer son restaurant Kin Dee en lui conseillant de quitter l’énorme métropole pour recommencer à zéro dans une ville qui est elle-même justement en train de se renouveler : Berlin. Il lui a également présenté Moritz Estermann et Stephan Landwehr (Grill Royal), grands gastronomes de la capitale allemande. Dès qu’ils ont goûté à ses superbes créations, une évidence s’est imposée : ils ont voulu collaborer avec Dalad Kambhu. En six mois seulement, l’idée s’est concrétisée en un restaurant.
De New York, elle a rapporté une approche privilégiant l’utilisation de produits régionaux. De cette manière, Dalad Kambhu a développé son propre style : « Je trouve qu’importer des produits lointains n’est pas dans l’air du temps. Pour cuisiner thaïlandais, ce n’est d’ailleurs pas nécessaire. L’important est que la nourriture soit fraîche », dit-elle. « Par ailleurs, je veux soutenir les agriculteurs régionaux qui produisent des aliments d’une si bonne qualité et reçoivent pourtant bien peu de reconnaissance. »
Dalad Kambhu a ouvert son restaurant le 8 mars 2017, date de la Journée internationale des femmes. En aucun cas un hasard.